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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/155

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cet homme connaissait toute la vie de son mari ? De par sa volonté, il avait été banni de sa présence, et voilà qu’inopinément il reparaissait à côté de son mari ! il n’était donc pas possible qu’il ignorât les secrets qui la rendaient si malheureuse. Elle fit un effort pour détourner la tête et continuer sa revue, comme si elle n’avait rien aperçu de plus important qu’un portrait suspendu au mur : enfin, elle découvrit Deronda. Il ne regardait pas de son côté ; elle s’en consola en se disant que, bien certainement, il l’avait vue entrer. En effet, il n’était pas loin de la porte, à côté de Hans Meyrick qu’il avait eu soin de comprendre sur la liste des invités de lady Mallinger. Tous deux étaient un peu inquiets, dans la crainte que Mirah ne se montrât pas à son plus grand avantage, et Deronda, dès qu’il l’avait pu, s’était échappé des griffes de lady Pentreath, qui lui avait dit, avec sa voix de violoncelle :

— Eh bien, votre juive, elle est jolie, on ne peut le nier. Mais où est son impudence judaïque ? Elle a l’air aussi modeste qu’une religieuse. Elle aura appris cela sur le théâtre.

Désagréablement touché de cette observation, il s’était éloigné et avait vu entrer les Grandcourt. Au même instant Hans lui demanda quelle était cette beauté, cette duchesse de Van Dyck ; et, comme il l’admirait avec ses hyperboles habituelles, Deronda lui répondit d’un accent sarcastique :

— Je croyais que vous n’admiriez que les femmes du style de votre Bérénice ?

— C’est le style que j’adore et non celui que j’admire, répondit Hans. Je pourrais être méchant pour les autres styles de femmes ; mais pour Bérénice je ne pourrais être que bon, que très bon, ce qui est quelque chose de beaucoup plus difficile…

— Chut ! fit Deronda, profitant pour le faire taire de ce que le concert allait commencer.