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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/154

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quand M. et madame Grandeourt y firent leur entrée. Klesmer s’y trouvait avec sa femme, et, dans son généreux intérêt pour Mirah, il lui avait proposé d’être son accompagnateur et conseillé de choisir l’air de Leo : O patria mia, comme devant la faire mieux valoir que de la musique plus connue. Il était déjà au piano et Mirah se tenait attentive à côté de lui, quand Gwendolen, resplendissante de beauté dans sa robe de velours vert clair et avec ses diamants empoisonnés, fut conduite à un siège d’honneur d’où elle les avait complètement en vue. Avec sa rare puissance sur elle-même et sa non moins rare qualité de discerner d’un coup d’œil toutes les personnes et tous les objets dès son entrée dans un salon, elle n’avait pas négligé, tout en jetant un regard sur Mirah, d’échanger en passant un salut et un sourire avec Klesmer. Ce sourire, pour tous deux, les reportait à cette matinée pendant laquelle son ambition avait été de ressembler à « la petite juive », et de dominer toute une assemblée par son talent. Au lieu de cela, elle faisait nombre aujourd’hui parmi de belles dames couvertes de soie et de pierreries, dont le principal talent était d’admirer et de critiquer. « Il pense que je suis maintenant la seule route qui me convienne », se dit-elle avec un amer ressentiment.

Gwendolen n’avait pas encore vu Deronda et pendant qu’elle causait avec sir Hugo, elle promenait des regards insouciants autour d’elle, saluant les personnes qu’elle reconnaissait, mais attentive à ne pas laisser deviner sa recherche de Daniel par l’œil scrutateur de son mari, qui la lui aurait reprochée comme une chose « diablement vulgaire ». Tout à coup ses yeux rencontrèrent ceux de « l’amateur qui aimait trop Meyerbeer », c’est-à-dire M. Lush, que sir Hugo continuait à trouver utile et qu’il tolérait parmi ses invités. Il était auprès de Grandcourt qui lui tournait le dos et causait avec lord Pentreath. Comment se fit-il que, pour la première fois, Gwendolen éprouva une sensation désagréable à l’idée que