Aller au contenu

Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvint de la compassion que, sous une autre forme, Deronda lui avait aussi témoignée. Mais en voyant que Klesmer allait se faire entendre, elle s’éloigna, et, le contentement au cœur, sans pressentir que cette juive protégée ferait dans sa vie une différence plus grande que le perfectionnement possible de son chant, sous prétexte de se reculer du piano, elle alla s’asseoir sur un canapé où elle ne pouvait avoir qu’un voisin. Elle s’était rapprochée de Deronda ; était-il surprenant qu’il vînt lui donner la main avant que la musique commençât et qu’il s’assît à côté d’elle ? Mais quand, le morceau de Klesmer terminé, recommença le brouhaha des conversations pendant lequel elle avait espéré causer avec Daniel, elle remarqua que M. Lush, appuyé contre le mur non loin d’eux, était à portée de les entendre. Elle ne put réprimer un mouvement de colère, mais elle essaya de prendre un air indifféremment poli et dit :

— Miss Lapidoth est bien telle que vous me l’avez dépeinte.

— Vous avez été prompte à le découvrir, répondit-il ironiquement.

— Je n’ai pas trouvé en elle toutes les perfections dont vous avez parlé ; ce n’est pas ce que je veux dire ; mais je trouve son chant délicieux, et elle aussi. Son visage est aimable, pas du tout commun ; sa petite personne est complète. Je lui prédis beaucoup de succès.

Ce langage parut choquant à Deronda ; il ne répondit rien et regarda gravement devant lui. Elle sentit qu’il n’était pas content d’elle, ce qui la rendit encore plus impatiente du voisinage de Lush, lequel l’empêchait de dire ce qu’elle voulait. Elle se tut aussi. Cet état de contrainte, pendant lequel ni lui ni elle ne se regardèrent, dura passablement longtemps ; enfin Lush quitta sa place pour aller plus loin causer à quelqu’un. Elle dit aussitôt :

— Vous me méprisez parce que j’ai parlé artificiellement.