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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/169

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Deronda parlait avec une chaleur affectueuse, ainsi qu’il l’aurait fait avec un frère vénéré. Mordecai qui le contemplait avidement se tut quelque temps et s’écria enfin d’un ton presque de reproche :

— Et vous voudriez que je doutasse de votre naissance juive ? Ne nous sommes-nous pas sentis, dès notre première rencontre, liés par des fibres invisibles ? N’avons-nous pas tressailli ensemble comme les feuilles d’un tronc commun ? Je sais ce que je suis ! Je me sais un membre de la foule des pauvres ; je suis frappé ; je suis mourant. Mais nos âmes se connaissent ; elles se sont regardées en silence, comme ceux qui ont été longtemps séparés et se retrouvent. Le sang d’Israël coule dans vos veines.

Quoique demeurant calme, Daniel se sentit frémir. Il lui était aussi impossible de nier que d’affirmer. Il attendit, espérant une réponse plus directe. Après avoir médité un instant, Mordecai ajouta d’un ton ferme et résolu :

— Ce que vous attendez de moi, je le ferai, et notre mère, — puisse la bénédiction de l’Éternel être avec elle dans nos âmes ! — l’aurait désiré aussi. J’accepte ce que votre fraternelle bonté a préparé et la demeure de Mirah sera la mienne.

Il s’arrêta un peu et reprit d’un ton mélancolique :

— Mais je suis désolé de me séparer de ces enfants et de leurs parents. Il faut que vous leur parliez, car je n’en aurais pas le courage.

— Je pensais bien que vous auriez besoin de moi pour le leur faire savoir. Y allons-nous de suite ? demanda Deronda soulagé par cette condescendance inattendue.

— Oui, ne différons pas ; il le faut, dit Mordecai en se levant de l’air d’un homme qui a un douloureux devoir à remplir. Puis s’arrêtant, il reprit : — N’insistez pas plus qu’il n’est besoin sur ma sœur.

En entrant dans le parloir, Mordecai dit à Jacob :