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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/189

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— Dites-moi, reprit Gwendolen, en posant la main sur celle de Mirah et d’une voix à peine intelligible, dites-moi la vérité. Vous êtes sûre qu’il est vraiment bon ! Vous ne savez rien de mal sur lui ? Le mal que l’on dit de lui est faux, n’est-ce pas ?

Était-il possible que cette femme au caractère si fier pût se conduire ainsi, comme une enfant ? Mais ses étranges paroles ne soulevèrent en Mirah qu’un sentiment d’indignation sainte. Les yeux étincelants et la voix frémissante, elle s’écria :

— Qui donc ose dire du mal de lui ? Un ange m’en dirait que je ne le croirais pas. Il m’a trouvée quand j’étais bien malheureuse,.. j’allais me noyer,.. j’étais pauvre et abandonnée. Vous m’auriez prise pour une mendiante ! Il m’a traitée comme une fille de roi ; il m’a conduite chez la meilleure des femmes ; il a retrouvé mon frère, qu’il honore, bien qu’il ait été pauvre autant qu’il soit possible de l’être ! et mon frère l’honore, ce qui n’est pas peu dire ! — Le ton de Mirah venait de changer ; il résonnait fièrement et elle releva la tête en continuant : — Car mon frère est un savant,.. un grand esprit,.. et M. Deronda affirme que peu d’hommes l’égalent. — Une défiance judaïque avait pris feu au milieu de ses expressions de gratitude indignée, et sa colère ne pouvait l’empêcher d’y comprendre Gwendolen, puisqu’elle semblait douter de la bonté et de la vertu de Deronda.

Gwendolen ressemblait au voyageur dont les lèvres altérées ne peuvent quitter la coupe qui étanche sa soif. Elle ne remarqua pas la colère de Mirah ; elle ne voyait distinctement qu’une chose : c’est que la vie de Deronda ne ressemblait pas plus à l’insinuation de son mari, que l’aurore ne ressemble à la lumière du gaz. Elle serra la main de Mirah et lui dit avec précipitation :

— Merci, merci ; puis elle se leva et ajouta : — Il faut