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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/190

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que je parte ; je vous verrai le 4 ; je vous suis très obligée. Elle salua automatiquement la jeune fille qui lui ouvrit la porte, étonnée de cette brusque retraite provoquée sans doute par une morgue glaciale.

Gwendolen, en effet, ne tenait pas à montrer de l’effusion à celle qui venait de soulager son cœur. À peine son ardente curiosité eut-elle été satisfaite, qu’elle aurait voulu être partie : elle se dit qu’elle n’était pas à sa place et craignit d’être vue par Deronda. Une fois en voiture, elle se représenta ce qui l’attendait chez elle. En arrivant à sa porte, son mari était là fumant un cigare. Il l’aida à descendre de voiture et monta les escaliers derrière elle.

Arrivée au salon, craignant qu’il ne voulût la suivre plus loin sans lui laisser aucun moyen de retraite, elle s’assit dans un fauteuil d’un air de lassitude ; elle ôta ses gants, passa la main sur son front et feignit de ne faire aucune attention à son mari. Mais il prit place non loin d’elle et bien en face, de manière à ce qu’elle ne pût se soustraire à son regard.

— Puis-je vous demander, dit-il, où vous avez été à cette heure extraordinaire ?

— Oh ! certes ; je suis allée chez miss Lapidoth, la prier de venir chanter chez nous.

— Et aussi pour avoir des éclaircissements sur ses relations avec Deronda, continua Grandcourt d’un ton de persiflage glacial qui parut infernal à la pauvre Gwendolen. Mais, pour la première fois depuis leur mariage, elle osa éclater sans retenue. Le regardant bien franchement, elle lui dit d’un ton mordant :

— Oui ! et tout ce que vous m’avez dit est faux ; c’est une imposture basse et méchante.

— Elle vous l’a dit, n’est-ce pas ? répliqua Grandcourt plus sarcastiquement encore.

Elle ne répondit pas ; son audacieuse colère s’était chan-