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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/191

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gée en rage muette. Elle détourna la tête et fixa obstinément le fond du salon ; elle aurait voulu se retirer, mais il lui barrait le chemin. Grandcourt vit qu’il avait l’avantage.

— Tant qu’il ne s’agit que de son chant, reprit-il de son accent traînard, cela ne tire pas à conséquence. Vous pouvez l’avoir pour chanter tant que vous voudrez. — Puis, après une pause, il reprit d’une voix plus sourde, mais plus impérieuse : — Vous voudrez bien, cependant, ne plus retourner dans cette maison. Comme ma femme, vous devez me demander mon avis sur ce qu’il est convenable que vous fassiez. Quand vous avez accepté d’être madame Grandcourt, vous avez accepté aussi de ne pas faire de vous une folle. Or, vous avez agi comme une folle aujourd’hui, et si vous continuez comme vous avez commencé, on parlera bientôt de vous dans les clubs d’une manière qui ne vous plaira pas. Que savez-vous du monde ? Puisque vous m’avez épousé, vous devez vous laisser guider par mes avis.

Elle resta pétrifiée, et il reconnut que ses paroles avaient porté. Du reste, il avait conscience de sa force. Il lui permit alors de sortir et ne fit plus d’allusion à ce qui était arrivé. Quant à Gwendolen, toute sa confiance en Deronda était revenue, et elle se dit qu’il avait agi en généreux bienfaiteur.

Par le fait, Grandcourt avait deviné l’esprit de rébellion qui la dominait. Ce qui s’était passé à propos de Mirah aiguisa ses soupçons sur Deronda, non qu’il s’imaginât que Daniel fît la cour à sa femme, mais il considérait leurs relations comme un non-sens qui lui était désagréable. Il eut une perception vague d’humeurs menaçantes chez Gwendolen, humeurs auxquelles ses vues sur le mariage l’obligeaient de mettre sans retard un terme. Au nombre des moyens qu’il choisit, il y en eut un particulier, mais