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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/202

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tation d’indifférence, elle n’en était pas moins blessante. Il tiendrait donc sa promesse.

Gwendolen avait refusé à Grandcourt de sortir à cheval, alléguant qu’elle ne se sentait pas bien ; elle n’avait fait connaître son intention qu’au dernier moment, quand les chevaux attendaient, mais non sans crainte que son mari ne voulût aussi rester à la maison. Devenue presque superstitieuse sur son pouvoir de divination soupçonneuse, elle supposait ce qu’elle aurait fait en pareil cas. Mais Grandcourt accepta son excuse sans une observation et partit.

Malgré cela, quand elle se trouva seule et qu’elle eut envoyé donner l’ordre de n’introduire que M. Deronda, elle commença à trembler et à sentir une agitation croissante, à la pensée qu’il paraîtrait bientôt et qu’elle serait obligée de parler, non de trivialités, car alors elle n’aurait eu aucun motif sérieux pour l’appeler chez elle, et pourtant, il lui semblait impossible de lui dire ce que, pendant des heures entières, elle avait décidé qu’elle lui exprimerait. Pour la première fois, l’impulsion qui l’avait portée à lui faire appel fut accompagnée de timidité, et maintenant, qu’il était trop tard pour reculer, elle était frappée par la possibilité qu’il considérât son invitation comme inconvenable. Alors elle baisserait dans son estime ! Elle se raidit contre cette crainte insupportable. Dans ses efforts pour dompter son agitation, elle arpenta à grands pas ses salons dont les grandes glaces réfléchissaient son image ; sa robe de soie noire faisait ressortir la beauté de son visage, la blancheur de son cou, et rehaussait tous ses avantages. S’en étant aperçue, elle courut dans son boudoir et s’enveloppa la tête d’un grand voile de dentelle noire, pour cacher son cou et ne laisser voir que sa figure. Devant ce mépris manifeste pour toute coquetterie, elle se sentit plus libre, mais rien ne put faire disparaître le malaise qui régnait sur ses lèvres et dans ses yeux.