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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/201

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avait en lui semblait une puissance vitale, et l’idée que la mort de son mari était son seul moyen de délivrance ne faisait qu’un avec la pensée que cette délivrance n’arriverait jamais. Non ! elle le voyait toujours vivant et la dominant pendant toute sa vie.

Deux jours après cette rencontre au parc, il devait y avoir un grand concert chez Klesmer, qui habitait une magnifique maison dans Grosvenor Place, et qui était devenu le protecteur et le prince des artistes musiciens. Pour Gwendolen, c’était une occasion où, bien certainement, elle rencontrerait Deronda, et elle avait longuement médité comment elle lui poserait une question, qui, sans contenir un mot déplaisant, serait assez explicite pour qu’il la comprît. Elle fut longtemps sans pouvoir lui parler ; son irritation augmentait à mesure que diminuaient les chances de rencontre ; elle était furieuse même contre lui, de ce qu’éloigné d’elle, il paraissait d’un calme imperturbable, tandis qu’elle était en danger de trahir son impatience devant tous ceux qui venaient lui parler. Elle se barricada dans une arrogance glaciale, qui fit dire à M. Vandernoodt, que madame Grandcourt était on ne peut mieux assortie à son mari. Lorsque enfin les hasards de la soirée amenèrent Deronda auprès d’elle, sir Hugo et madame Raymond étaient là et pouvaient entendre chaque mot qu’elle dirait. Qu’importe ! son mari était hors de vue, et avec une audace qui lui rendit pleine possession d’elle-même, elle dit :

— Monsieur Deronda, je voudrais que vous vinssiez me voir demain, entre cinq et six heures.

— J’irai certainement, répondit-il d’un air soumis.

En ce moment, c’était tout ce qu’il pouvait formuler, mais il comptait lui écrire un billet pour s’excuser, car il avait toujours évité de faire une visite à Grandcourt. Il ne put cependant se décider à user d’un procédé qui la blesserait, et si on pouvait taxer son excuse d’indifférence, ou d’affec-