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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/205

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Ce n’était pas le moment de feindre ou de manifester une répulsion ; l’impression passionnée de ses dernières paroles était encore trop forte. Elle était, en outre, désespérée de se dire que son entretien avec Deronda ne pouvait se continuer ; le rideau était baissé et la pièce finie. Quant à Daniel, il fut rappelé à lui-même par l’idée de ce qui pourrait résulter pour elle d’avoir été vue dans cet état d’agitation par son mari. Il comprit que sa présence ne pouvait qu’exagérer chez Grandcourt les conjectures possibles de duplicité ; il se contenta donc de dire :

— Je ne puis rester plus longtemps. Adieu !

En lui tendant la main, il sentit que la sienne était glacée. Elle ne lui dit pas adieu.

Quand il eut quitté le salon, Gwendolen se laissa tomber dans un fauteuil, dans un sombre désespoir et s’attendant à être punie, mais Grandcourt n’y fit pas attention ; il était satisfait de lui avoir fait comprendre qu’elle ne l’avait pas dupé, et le silence qu’il garda fut formidable d’omniscience. Il sortit le soir et accepta, sans même en sourire, son excuse d’indisposition.

Le lendemain, au déjeuner, il dit :

— J’irai faire une partie de yacht sur la Méditerranée.

— Quand ? reprit Gwendolen, dont le cœur battit d’espoir.

— Après-demain. Le yacht est à Marseille. Lush est parti pour tout préparer.

— Puis-je alors dire à maman de venir me retrouver ? demanda Gwendolen, dont la perspective de paix et d’affection qui débordait de son âme, éclata comme les premières lueurs du matin.

— Non ; vous viendrez avec moi.