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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/207

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Deronda obéit, non sans un certain pressentiment qui lui serra le cœur. Il était bien rare que sir Hugo se montrât si sérieux.

— Ce n’est, en effet, rien qui me peine, mon garçon ; du moins si cela ne te fait pas de peine, à toi. Mais je ne m’attendais pas à ce que ceci pût jamais arriver. J’avais des raisons pour ne pas t’y préparer, pour ne jamais te parler de tes parents. En tout cas, mes efforts ont constamment tendu à ce que ce ne soit pas une offense pour toi.

Sir Hugo s’arrêta, mais Deronda ne put parler ; il ne put même dire : « Je ne l’ai jamais considéré comme une offense ». Quand même cela eût été vrai, il n’aurait pu élever la voix. Jamais sir Hugo n’avait vu une telle pâleur sur le visage qu’il aimait ; jamais ses lèvres n’avaient été aussi frémissantes ; jamais il n’avait eu cette expression douloureuse. Craignant de lui infliger une nouvelle blessure, il continua avec une tendresse qui témoignait de l’anxiété de son âme :

— Je n’ai fait qu’obéir aux ordres de ta mère. Elle a voulu que je gardasse le secret qu’elle tient à te dévoiler aujourd’hui. Elle désire te voir. Voici sa lettre que tu liras plus tard. Elle t’apprendra ce qu’elle veut que tu fasses et où tu la trouveras.

Sir Hugo lui tendit une lettre écrite sur du papier étranger, qu’il mit dans son portefeuille, heureux de n’être pas obligé de la lire sur-le-champ. Il était visible que l’émotion de Daniel avait gagné le baronnet, qui s’efforçait de retrouver son sang-froid. Il lui semblait difficile d’en dire davantage. Une question, la plus difficile et la plus pénible pour lui, se pressait sur les lèvres de Daniel ; il aurait bien voulu ne pas la faire, mais il était impossible de reculer ; le moment était trop solennel. S’il le laissait passer, il pouvait ne plus retrouver la force de formuler ses mots et