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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/215

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ment, ne concevant pas comment il devait manifester son sentiment. En quelle langue lui parlerait-elle ? Serait-ce en anglais ? D’un mouvement brusque, la princesse posa ses deux mains sur les épaules de son fils et ses traits exprimèrent une admiration, dans laquelle les lignes flétries de son visage disparurent, pour faire place à une jeunesse restaurée.

— Tu es beau, dit-elle d’une voix grave et mélodieuse, avec un accent étranger mais agréable : tu es vraiment très beau ! Je savais que tu le serais. Elle l’embrassa sur les deux joues et il lui rendit ses baisers.

C’était comme deux royautés qui se seraient rencontrées.

Elle s’arrêta un moment et reprit d’un ton plus froid :

— Je suis ta mère ; mais tu ne peux m’aimer.

— J’ai pensé à vous plus qu’à tout autre être de ce monde, répondit Deronda d’une voix nerveusement tremblante.

— Je ne suis pas telle que tu te l’imaginais, reprit-elle avec décision ; puis ôtant les mains de ses épaules, elle croisa les bras ; elle le regardait et semblait l’inviter à l’étudier de près. Elle lui ressemblait et avait dû être remarquablement belle. Mais pourquoi éprouva-t-il un sentiment pénible d’éloignement ? Pourquoi un manque d’émotion si complet ? Sa beauté fanée avait un cachet d’étrangeté qui faisait d’elle non pas une mère humaine, mais une Mélusine sortant d’un monde indépendant du nôtre.

— Je m’étais toujours figuré que vous étiez souffrante, dit Deronda, anxieux surtout de ne pas la blesser ; j’aurais voulu pouvoir vous soulager.

— Je suis souffrante, en effet, mais d’une souffrance que tu ne peux soulager, dit la princesse d’une voix plus dure et en marchant vers un sofa dont les coussins avaient été soigneusement disposés pour elle. Elle lui désigna un fauteuil auprès d’elle ; puis, discernant un chagrin sur ses