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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/216

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traits, elle ajouta d’un ton plus doux : — Assieds-toi. Je ne souffre pas en ce moment. Je suis à mon aise. Je puis causer.

Daniel s’assit dans l’attente de ce qu’elle allait lui apprendre. Il se croyait plutôt en présence d’un destin mystérieux que d’une mère si longtemps désirée.

— Non, reprit-elle, je ne t’ai pas fait venir pour me soulager. Je ne pouvais savoir d’avance… je ne sais pas encore… ce que tu ressens pour moi. Je ne suis pas assez ridicule pour croire que tu puisses m’aimer par la seule raison que je suis ta mère, car tu ne m’as jamais vue et de ta vie tu n’as entendu parler de moi. Cependant je crois avoir choisi pour toi ce qui valait mieux que d’être avec moi. Je ne pense pas t’avoir privé de quoi que ce soit qui vaille la peine qu’on en parle.

— Vous ne pouvez désirer que je croie que votre affection aurait été sans valeur pour moi, objecta Daniel, qui supposa qu’elle s’était arrêtée pour attendre sa réponse.

— Je n’ai pas l’intention de mal parler de moi, reprit fièrement la princesse, mais je n’ai pas beaucoup d’affection à donner. Je n’en ai pas besoin ; j’en ai été excédée. Je voulais vivre d’une autre vie que celle qui était la mienne et ne pas être embarrassée d’autres existences. Tu te demandes ce que j’étais ? Je n’étais pas princesse alors !.. Elle se leva d’un mouvement nerveux et resta debout. Deronda se leva aussi ; il ne respirait plus.

— Je n’étais pas princesse comme je le suis maintenant. J’étais une grande cantatrice, et je jouais aussi bien que je chantais. Tous pâlissaient à côté de moi. Les hommes me suivaient d’un pays à l’autre. Je vivais des myriades de vies en une seule ; je ne voulais pas d’enfant.

On sentait de la colère et de la passion dans sa voix.

— Je ne voulais pas me marier, continua-t-elle. Je fus forcée d’épouser ton père : c’était le désir et l’ordre du