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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/220

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france, le repentir, si l’on peut se servir de ce mot, qui perçaient dans ses dernières expressions. Il n’osa pas lui faire de nouvelles questions lorsqu’elle demeura silencieuse, le front soucieux, la tête tournée de côté, et ses grands yeux comme rivés sur un être incorporel. Il fallait attendre qu’elle reprît d’elle-même la parole. Elle le fit avec une brusquerie singulière en levant soudain les yeux sur lui et en disant :

— Sir Hugo m’a beaucoup écrit à ton sujet. Il m’a dit que tu as l’esprit très développé ; que tu comprends tout ; que malgré ta jeunesse, tu es plus sage que lui avec ses soixante ans. Tu es heureux de te savoir né juif. Moi, je n’ai pas changé d’opinion à cet égard. Tes sentiments sont contre les miens, et tu ne me remercies pas de ce que j’ai fait. Comprendras-tu ta mère ou la blâmeras-tu ?

— Il n’y a pas en moi une fibre qui ne veuille la comprendre, répondit solennellement Deronda ; c’est une amère réalisation de mon vœu que de croire que je veuille la blâmer. Depuis quinze ans, j’ai toujours tâché de comprendre ceux qui différaient d’avis avec moi.

— Alors, en cela tu ne ressembles pas à ton grand-père, dit-elle, quoique ton visage soit, en plus jeune, l’exacte copie du sien, il ne m’a jamais comprise ; il ne pensa qu’à m’enchaîner dans l’obéissance. Je devais être ce qu’il appelait la femme juive, sous peine d’encourir sa malédiction. Je devais sentir tout ce que je ne sentais pas, et croire à tout ce que je ne croyais pas. Je devais respecter le morceau de parchemin de la mezusah, cloué au-dessus de la porte ; avoir bien soin qu’un morceau de beurre ne vînt pas toucher un morceau de viande ; croire qu’il était beau que les hommes portassent des tephillin, et non les femmes ; adorer la sagesse de ces lois, quelque niaises qu’elles pussent me paraître. Je devais ai-