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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/224

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— Vous avez certainement vécu en Angleterre ?

— Ma mère était Anglaise, juive de descendance portugaise. Mon père l’épousa en Angleterre. Certaines circonstances de ce mariage influèrent considérablement sur ma vie : c’est le mariage de mon père qui renversa ses propres plans. La sœur de ma mère était une cantatrice qui se maria à l’associé anglais d’une maison de commerce de Gênes, où ils vécurent pendant onze années. Je n’avais que huit ans quand ma mère mourut ; mon père consentit alors à ce que je fusse élevée chez ma tante Léonora, sans penser qu’elle encouragerait mon désir de devenir cantatrice comme elle. Mais, s’il ne se précautionna pas contre cette conséquence, c’est qu’il se croyait sur de pouvoir l’annuler quand il le voudrait. Lorsque ma tante quitta Gênes, j’en savais assez pour faire éclore la chanteuse et l’actrice innées en moi. Mon père, bien qu’il ne sût pas tout ce que j’avais fait, n’ignorait pas que j’avais appris la musique et le chant ; il connaissait mon penchant ; mais, qu’était-ce pour lui ? Il entendait que j’obéisse à sa volonté. Il avait, je te l’ai dit, résolu que je serais la femme de mon cousin Ephraïm, seul reste de la famille de mon père qu’il connût. Je ne voulais pas me marier. J’imaginai toute sorte de ruses pour m’y soustraire ; mais, comme je vis que je pourrais gouverner mon mari, je consentis enfin. Trois semaines après mon mariage, mon père mourut, et alors je pus faire ce que je voulais. Elle prononça ces dernières paroles presque avec joie : mais peu après son visage changea et elle ajouta avec amertume : Cela n’a pas duré cependant ; mon père reprend le dessus maintenant.

Elle regarda son fils avec plus d’attention et s’écria :

— Tu lui ressembles, mais en plus doux : tu as quelque chose de ton père. Se consacrer, se dévouer à moi fut l’œuvre et le but de toute sa vie. Il céda sa maison de banque pour pouvoir me suivre : pour moi, il agit contre sa con-