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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/225

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science ! Il m’aimait autant que j’aimais mon art. Donne-moi ta main ; celle avec la bague. C’était l’anneau de ton père.

Deronda se rapprocha d’elle et lui donna sa main. Nous savons ce qu’elle était. Celle de sa mère, beaucoup plus mignonne, offrait le même type. Quand il sentit la pression de la petite main qui tenait la sienne, quand il vit tout près de lui ce visage ressemblant au sien, vieilli, non par le temps, mais par la souffrance, sa tendresse naturelle oublia toutes les autres impressions défavorables, et il dit du ton le plus fervent :

— Mère ! prenez-nous tous dans votre cœur, le vivant et les morts. Pardonnez tout ce qui vous a blessé dans le passé et acceptez mon amour filial.

Elle le regarda, plutôt avec admiration qu’avec tendresse ; elle lui baisa le front et dit tristement :

— Je ne refuse rien, mais je n’ai rien à donner ! Puis elle lâcha sa main et retomba sur ses coussins.

Daniel pâlit en voyant qu’elle rejetait son affection. Elle vit la peine qu’elle lei avait causée et reprit d’une voix mélodieusement mélancolique :

— Cela vaut mieux ainsi, va. Nous allons nous séparer de nouveau, et tu n’as aucun devoir à remplir envers moi. Je n’ai pas désiré ta naissance et je me suis séparée de toi volontairement. Quand ton père mourut, je résolus de briser toute espèce de lien, sauf ceux dont je pourrais me délivrer moi-même. Je fus l’Alcharisi dont tu as entendu parler. C’était un nom magique. Partout où j’allai, les hommes me courtisèrent. Sir Hugo Mallinger fut un de ceux qui voulurent m’épouser. Il était fou de moi. Je lui demandai un jour : « Existe-t-il un homme capable de faire quelque chose par amour pour moi sans attendre rien en retour ? » Il me répondit : « Que voudriez-vous qu’il fît ? » « Prenez mon enfant, repris-je ; chargez-vous de