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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/228

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sais-je de la vie et de la mort ? Ce que mon père appelait son droit est peut-être le pouvoir qui vient prendre possession de tout mon être. Eh bien, qu’il soit satisfait ! je me rends ! Je ne puis entrer dans les ténèbres de la mort sans le satisfaire. J’ai caché ce qui était à lui ; j’ai pensé à le brûler autrefois, je ne l’ai pas fait. Que Dieu en soit loué !

Elle retomba sur ses coussins visiblement épuisée. Deronda, trop fortement ému à la vue des angoisses de sa mère pour que d’autres suggestions pussent agir sur lui, s’approcha d’elle et lui dit d’un ton suppliant :

— Ne voulez-vous pas vous ménager ce soir ? Laissons le reste pour demain.

— Non, dit-elle énergiquement, maintenant que j’ai commencé, je veux tout dire. Quand je me sens mieux, ce mirage s’évanouit, tout mon être revient à la vie ; mais je sais que le mal reparaîtra et que de nouveau les tristes restes de ce que je fus ne pourront lui résister. C’était le propre de ma nature de résister et de dire : « J’en ai le droit ! » Eh bien, à présent que je me sens un peu forte, je le dis encore ! Tu m’as entendue le dire, et je ne m’en défends pas ; mais, quand ma force est partie, un autre droit vient m’étreindre, pareil à une inexorable main de fer, et même, quand je suis bien, souvent il me crée des fantômes en plein jour. Tu l’as aggravé maintenant, ajouta-t-elle dans un nouvel accès d’impétuosité, mais au moins je t’aurai tout dit. Quel reproche pourrait-on me faire, puisque je viens de te rendre heureux d’être juif ? Joseph Kalonymos me l’a reproché ; il disait que tu étais un orgueilleux Anglais qui rougissait d’être touché par la main d’un juif ! Ah ! pourquoi n’en est-il pas ainsi ?

— Quel est ce Joseph Kalonymos ? demanda Deronda, qui se souvint du juif qui lui avait pris le bras dans la synagogue de Francfort.