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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/242

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hésitait, comme si elle n’osait pas continuer. J’ai besoin de vous le confier ; je ne pourrais le dire à personne qu’à vous ; je le tairais même à ma mère. ! Je suis honteuse de mon père, et, chose étrange ! cette honte est encore plus grande devant Ezra que devant qui que ce soit !

» Il a voulu que je lui racontasse toute ma vie, et je lui ai obéi ; mais c’est toujours une souffrance pour moi que de penser qu’Ezra sait tout ce qu’a fait notre père. Et, pourrez-vous le croire ? quand je m’imagine ce qui arriverait si mon père se montrait devant nous, je sens comme si un fer rouge me brûlait les entrailles. Je ne puis me faire à l’idée de voir mon père trembler devant Ezra. C’est la vérité. Ai-je raison ? Je l’ignore ; mais il me semble que je ferais mieux de soutenir mon père en secret, quitte à en souffrir beaucoup afin de l’empêcher de se rencontrer avec mon frère.

— Vous devez chasser cette pensée, Mirah, répondit aussitôt madame Meyrick. Ce serait dangereux ! ce serait mal ! N’ayez pas de secrets de ce genre.

— Mais dois-je dire aujourd’hui à Ezra que j’ai vu notre père ? s’écria Mirah d’un ton désespéré.

— Non ; je ne crois pas que ce soit nécessaire. Votre père peut partir avec les hirondelles. Il ne m’est pas démontré qu’il soit venu pour vous chercher. Vous pouvez ne plus jamais le revoir et vous aurez épargné à votre frère une anxiété inutile. Mais vous allez me promettre que, si votre père vous voit, que si de nouveau il veut s’emparer de vous, vous nous le ferez savoir à tous. Jurez-le, Mirah ; j’ai le droit de l’exiger.

La pauvre enfant réfléchit un peu ; puis, mettant sa main dans celle de la petite mère, elle dit :

— Puisque vous le voulez, je vous le promets. Je supporterai ce sentiment de honte. Assez longtemps j’ai été habituée à croire qu’il me faudrait souffrir d’une peine intérieure ; mais cette honte de mon père me déchire bien plus encore,