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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/243

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quand je pense à la possibilité de sa rencontre avec Ezra ! — Elle se tut un moment et reprit d’un ton de compassion émue : — Et nous sommes ses enfants ! Et il a été jeune comme nous ! Et ma mère l’a aimé ! Hélas ! je vois tout cela, et je me crois cruelle ?

Mirah ne versa point de larmes ; toujours elle avait été contraire à une semblable manifestation ; mais l’expression douloureuse de sa voix était plus intense. Madame Meyrick ne comprit pas ce sentiment filial qui avait poussé de si fortes racines en dépit des mortelles offenses qu’avait endurées la jeune fille. Elle concevait la pitié sans bornes et la honte d’une mère pour un fils réprouvé ; mais elle voyait avec impatience ce qu’elle considérait comme une susceptibilité exagérée, en faveur de ce père qu’elle aurait volontiers confié aux soins d’un geôlier. Toutefois, la promesse de Mirah était une sécurité contre sa faiblesse.

Si l’on avait demandé à Mirah le motif de sa tristesse cachée que Hans avait devinée, elle n’aurait pu l’attribuer qu’à cet incident ; mais il est certain que la première raison de son malaise et de son changement d’humeur avait été la manière d’être de Gwendolen pendant sa visite, qu’elle n’avait faite évidemment que pour lui poser sa question sur Deronda. Elle n’avait parlé à personne de cette visite ; mais le souvenir qu’elle en gardait avait fait naître en son âme une nouvelle susceptibilité, que, d’abord, elle n’avait pas eue sur les relations de Deronda avec cette société qu’elle avait pu fréquenter sans lui appartenir. Elle ne pouvait penser sans peine que Daniel était peut-être entraîné en sentiment et en action dans ses rapports avec une femme comme Gwendolen, qui lui devenait de jour en jour plus antipathique. La première occasion qu’elle eut de s’en apercevoir fut insignifiante, mais assez forte cependant pour préparer sa nature délicate à ressentir plus vivement ce qui arriva par la suite.