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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/253

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surprise. Il soutint fermement son regard. Tout à coup elle se pencha vers lui et dit à brûle-pourpoint.

— Tu aimes une juive !

Deronda rougit.

— Mes raisons seraient indépendantes d’un tel fait, répondit-il.

— Je sais cela mieux que toi ; j’ai vu ce que sont les hommes ; dis-moi la vérité. C’est une juive qui n’acceptera qu’un juif, n’est-ce pas ? Il y en a comme cela, ajouta-t-elle avec un peu de mépris.

Et, comme Daniel gardait le silence elle continua :

— Tu l’aimes comme m’aimait ton père, et elle t’entraînera après elle comme je l’ai entraîné. Mais — ici un sentiment de colère se fit jour — je l’ai conduit dans le chemin qui me convenait et aujourd’hui ton grand-père prend sa revanche !

— Mère, s’écria Deronda avec une nuance de reproche, ne pensons plus à cela, au moins de cette manière. Je reconnais qu’un bien peut surgir de l’éducation que j’ai reçue et que vous avez choisie pour moi. Je préfère chérir les avantages, leur témoigner de la gratitude, que d’avoir du ressentiment contre le préjudice. Je crois qu’il eût été préférable que je fusse élevé avec la conviction que j’étais juif ; mais ce sera toujours excellent pour moi d’avoir une instruction et des sympathies aussi larges que possible. Et maintenant que vous m’avez restitué mon héritage, — les événements ont fait cette restitution plus complète que vous n’auriez pu la faire, — le tort vous a été épargné de priver mon peuple de mes services et moi de mon devoir. Votre âme ne peut-elle y consentir ?

Il s’arrêta. Sa mère l’écoutait avec une attention profonde ; elle semblait entendre avec plaisir la cadence de cette voix harmonieuse ; mais elle remua lentement la tête. Il reprit avec plus d’insistance :