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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/254

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— Vous m’avez dit que vous aviez cherché ce que vous croyiez le meilleur pour moi. Ouvrez votre cœur à l’attendrissement et à l’amour envers mon grand-père, qui chercha ce qu’il regardait comme le meilleur pour vous.

— Non ; pas pour moi ! non ! s’écria-t-elle avec des gestes d’une négative énergique. — Je te l’ai dit : jamais il n’a pensé à sa fille que pour en faire un instrument ; et parce que j’avais des besoins opposés à ses vues, je fus mise en cage et torturée. Si le monde considère comme juste une telle loi, je ne dirai pas que je l’aime. Si mes actes furent injustes, si c’est Dieu quia exigé que je révélasse ce que j’avais résolu de tenir caché ; si c’est lui qui me punit d’avoir trompé mon père et de ne pas l’avoir prévenu que je m’opposerais à sa volonté, eh bien, j’ai tout dit ! J’ai fait ce que je pouvais. Ton âme consent et m’absout : c’est assez. Après tout, j’ai été l’instrument que voulait mon père, quand il disait : « Je désire un petit-fils, qui ait le cœur vraiment juif. Tout juif doit élever sa famille comme s’il devait en sortir un libérateur. »

— Étaient-ce bien les paroles de mon grand-père ? demanda Deronda.

— Oui, oui ! et tu les trouveras écrites. J’ai voulu les contrecarrer, s’écria-t-elle dans un élan subit de colère, comme elle en avait montré dans la précédente entrevue. Mais elle se calma bientôt et reprit plus doucement : Aurais-tu voulu que j’aimasse ce que j’ai haï depuis que je me connais ? Cela ne pouvait être. Mais qu’est-ce que cela fait ? Son joug a pesé sur moi, que je l’eusse aimé ou non. Tu es bien le petit-fils qu’il demandait. Tu parles comme si tu te croyais sage ! Qu’est-ce que tout cela signifie ?..

Son ton était devenu rauque et méprisant. Dans l’impression pénible qu’il éprouvait, et comprenant la solennité du moment, Deronda dut se souvenir qu’elle était sa