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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/257

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— Ne voudra-t-elle pas suivie la route qu’elle aura choisie ?

— Je ne crois pas que sa nature la porte aux grandes prétentions.

— Alors elle n’est pas comme celle-ci ? Et la princesse tira de sa poche une miniature entourée de diamants, qu’elle tendit à son fils. C’était son portrait ; c’était elle dans tout l’éclat de la beauté et de la jeunesse ; et, comme Deronda la regardait avec une admiration attristée, elle ajouta : — N’avais-je pas le droit de prétendre à être quelque chose de plus qu’une fille et qu’une mère ? La voix et le génie rivalisaient avec la figure. Avoue que j’avais le droit d’être artiste malgré la volonté de mon père !

— Je l’avoue, répondit Deronda, dont les yeux se portèrent de la miniature au visage de sa mère, qui, dans sa pâleur fanée, avait une expression de vitalité que le pinceau ne pouvait rendre.

— Veux-tu garder ce portrait ? lui demanda sa mère d’une voix attendrie. Si c’est une bonne femme, apprends-lui à n’avoir pour moi que de la bienveillance.

— Je vous remercie du portrait, dit Daniel ; mais… je dois dire que rien ne m’assure que celle que j’aime ait de l’amour pour moi. Je ne lui ai jamais fait connaître mes sentiments.

— Qui est-elle et qu’est-elle ?

Cette question ressemblait à un ordre.

— Elle a été élevée pour le théâtre, pour être cantatrice, répondit Deronda avec une répugnance interne. Son père l’enleva tout enfant à sa mère et son existence n’a pas été heureuse. Elle est très jeune, à peine vingt ans. Son père voulait qu’elle dédaignât et même qu’elle reniât son origine juive ; mais elle s’y est cramponnée de toute la force de son affection à la mémoire de sa mère et à la communion de son peuple.