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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/256

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grand chagrin est de vous avoir entendu dire que je suis incapable de vous consoler. Je donnerais tout ce qui m’est cher pour adoucir vos angoisses.

— Tu n’as rien à donner, reprit-elle avec animation. Tu seras heureux. Laisse-moi croire que tu es heureux… Je ne t’aurai point fait de mal. Tu n’as point de raison pour me maudire. Tu sentiras pour moi ce qu’ils sentent envers leurs morts, pour lesquels ils disent des prières ; tu voudras que je sois délivrée de toute souffrance, de tout châtiment, et je te verrai au lieu de toujours voir ton grand-père… A-t-il souffert de ce que onze années se sont passées sans qu’un misérable kaddisch ait été dit pour lui ?… Je ne sais… Si tu crois qu’un kaddisch puisse m’être utile, dis-le, dis-le ! Tu viendras te placer entre moi et le mort. Si je suis dans ton esprit, tu réapparaîtras comme tu es maintenant ;.. comme si tu avais été toujours un tendre fils… comme si j’avais été toujours une tendre mère…

Elle paraissait décidée à dominer son agitation, mais il sentit que sa main tremblait sur son épaule. Dans un élan de compassion, il entoura sa mère de ses bras et appuya tendrement sa tête sous la sienne. Ils demeurèrent ainsi quelque temps. Elle se leva enfin et soupira longuement, comme si, avec ce souffle, elle chassait un tumulte de pensées ; Deronda, debout devant elle, crut que le moment de la séparation était venu ; mais elle reprit tout à coup :

— Est-elle belle ?

— Qui ? demanda Deronda en changeant de couleur.

— Celle que tu aimes.

Ce n’était pas le moment de feindre. Il répondit :

— Oui.

— Est-elle ambitieuse ?

— Je ne pense pas.