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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/269

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— C’est faux, répondit amèrement Gwendolen ; vous n’avez pas la moindre idée de ce que j’ai dans l’esprit. Je sais assez quel malheur résulte du cas auquel vous faites allusion. Il vaudrait bien mieux me laisser parler en liberté aux personnes avec lesquelles j’aime à m’entretenir. Ce serait meilleur pour vous.

— Permettez-moi d’en être le juge, répliqua Grandcourt en se levant et en allant vers la fenêtre. — Il était satisfait d’avoir fait sentir le mors et la bride à sa femme. Il espérait bien qu’après un an de mariage elle cesserait d’être rétive.

— Qu’avez-vous décidé ? dit-il en se retournant. Quels ordres dois-je donner ?

— Allons ! répondit Gwendolen. Elle étouffait dans cette chambre ; elle se croyait en prison, et, tant qu’il y aurait un souffle en cet homme, sa main serait sur elle.

Le bateau fut donc commandé et elle consentit même à aller, vers midi, le voir avec Grandcourt sur le quai. Celui-ci avait repris toute sa sérénité et témoignait d’une satisfaction méprisante à voir l’attention qu’accordaient les curieux au milord propriétaire du joli yacht qui venait d’entrer dans le port pour y être réparé et qui, en sa qualité d’Anglais, se sentait si naturellement chez lui sur mer, qu’il pouvait manœuvrer une voile avec autant de facilité qu’il aurait dirigé un cheval. Son courage était incontestable et il en était fier, ou plutôt il éprouvait du dédain pour les hommes plus grossiers et plus forts qui, généralement, en ont le moins. Et puis il avait obtenu de Gwendolen qu’elle irait avec lui.

Quand ils redescendirent vers cinq heures, tout équipés pour monter dans le bateau, la scène valait une représentation théâtrale. Ce beau couple anglais, ces deux époux fiers, pâles et calmes, sans un sourire sur leurs lèvres, se conduisant avec l’excentricité naturelle à leur