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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/278

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— Asseyez-vous, je vous en supplie, lui dit-il en approchant un fauteuil, ne demeurez pas debout.

Elle obéit et s’affaissa sur sa chaise longue.

— Veuillez venir vous asseoir tout près de moi, dit-elle, je voudrais ne pas élever la voix.

Elle fut touchée de le voir se rendre à son désir, et après l’avoir fixé quelque temps, elle lui dit d’un ton à peine perceptible :

— Vous savez que je suis une femme coupable !

Il pâlit à son tour.

— Je ne sais rien, répondit-il, sans oser parler davantage.

— Il est mort ! murmura-t-elle.

— Oui.

— On ne reverra plus sa figure au-dessus de l’eau !

— Non.

— Personne ne la reverra, excepté moi !… Une figure morte !… Je ne pourrai plus l’oublier, ni m’en détourner.

Ses yeux étaient fixés dans le vide sur un objet invisible. Elle se tourna tout à coup vers Deronda et continua en parlant vite :

— Vous ne direz pas qu’il faut que je l’avoue au monde ! vous ne direz pas qu’il faut que je sois déshonorée ! Je ne pourrais pas. Je ne veux pas que ma mère le sache !… Non ! pas même si j’étais morte ! Il faut que je vous le dise, à vous ; mais vous ne direz pas que d’autres doivent le savoir !

— Je ne puis rien dire, puisque je ne sais rien. Quoi qu’il en soit, je ne désire que vous venir en aide, répondit Deronda.

— Je vous l’ai dit dès le commencement… dès que je l’ai pu ; je vous ai dit que j’avais peur de moi… — Deronda détourna les yeux ; l’angoisse peinte sur le visage de la malheureuse l’affligeait trop. — Je sentais en moi une haine qui opérait comme le malin esprit. Malgré moi, je devenais