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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/280

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Cette étreinte fit beaucoup de bien à Gwendolen, qui l’interpréta comme une protestation de patience inépuisable. Elle reprit en phrases entrecoupées et sans suite :

— Toute sorte d’inventions dans mon esprit… mais toutes si difficiles !.. Je les combattais… j’en avais peur… je voyais sa figure morte !.. — Elle se pencha jusqu’à l’oreille de Deronda et baissa encore la voix davantage. — Il y a longtemps que je l’ai vue… et je souhaitais sa mort… et pourtant cela me faisait peur… J’étais comme double… Je ne pouvais parler… j’aurais voulu fuir… j’en mourais d’envie… et puis… tout de suite après… je sentais que je venais de faire une chose horrible… inaltérable… qui ferait de moi un démon… Et c’est arrivé ! c’est arrivé !..

— Tout cela est une création de votre imagination ; cela ne s’est passé que dans votre esprit. Jusqu’à la fin vous avez résisté à la tentation, n’est-ce pas ?..

Il y eut un moment de silence. Les larmes roulaient épaisses sur les joues de Gwendolen. Faisant appel à toute sa résolution, et se rapprochant plus encore de l’oreille de Deronda, elle reprit :

— Non, non !… Je vais tout vous dire comme Dieu le sait. Je ne mentirai pas. Vous saurez l’exacte vérité. Je croyais que je ne serais jamais méchante ; je détestais les méchantes gens… je les fuyais… et depuis… j’ai été méchante moi-même. Tout a été une punition pour moi, jusqu’à la lumière du jour ! Car… vous savez… je ne devais pas me marier… Ce fut le commencement. Je fis du tort à une autre… je violai ma promesse !.. Je pensai me procurer le bonheur et tout s’est changé en misère. J’ai voulu faire mon gain de la perte d’une autre ! — Vous rappelez-vous ? ce fut comme à la roulette, — et l’argent m’a brûlée. Je ne pouvais me plaindre. C’était comme si j’avais prié pour qu’un autre perdît et que je pusse gagner… et j’ai gagné. Je savais tout cela, je savais que j’étais coupable… En mer,