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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/294

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sur ces jeunes visages, elle craignit que les enfants pussent s’imaginer quelque chose de pire que la réalité, et, après avoir poussé un sanglot qui la soulagea, elle dit :

— Mes chères, M. Grandcourt… M. Grandcourt s’est noyé !

Rex tressaillit comme si un obus avait éclaté dans la chambre ; il ne put se maîtriser, et le premier regard d’Anna fut pour lui. Mais bientôt, reprenant son sang-froid pendant que madame Davilow lisait la lettre du recteur, il dit :

— Puis-je vous être bon à quelque chose, ma tante ? Dois-je aller trouver mon père pour vous ?

— Oui, mon ami. Préviens-le que je serai prête ; il est bien bon. Il dit qu’il partira avec moi pour Gênes ; il sera ici à six heures et demie. Jocosa, Alice, vous allez m’aider à emballer. Gwendolen a été sauvée… mais elle doit être malade. Je suis sûre qu’elle est malade. Rex, et toi, ma chère Anna, allez dire à votre père que je l’attendrai. Pour rien au monde je ne voudrais perdre une autre nuit. Que Dieu le bénisse d’être sitôt prêt ! Je puis voyager sans m’arrêter jusqu’à ce que nous soyons là-bas.

Le frère et la sœur partirent précipitamment sans échanger une parole : elle pensait avec sollicitude à la blessure qui devait s’être rouverte, et lui luttait contre une foule de pensées qui l’obsédaient. Cette oppression ayant diminué quand ils furent arrivés au presbytère, Rex dit :

— Nannie, je te laisse le soin de t’acquitter de la commission auprès de notre père. S’il a besoin de moi tout de suite, tu viendras me le dire. Je resterai dix minutes dans le petit bois, seulement dix minutes.

Au premier moment, Rex avait été frappé par cette idée : « Gwendolen est libre ! » Mais aussitôt il s’était dit : « Oui, mais Gwendolen est riche, flattée, courtisée », et, si d’abord elle avait été contraire à son amour, comment pouvait-