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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/317

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— Vois-tu, Mirah, lui dit-il après un long silence, le Schemah, par lequel nous confessons l’unité divine, est le principal exercice de dévotion de l’Hébreu, et c’est ce qui fait de notre religion la religion fondamentale du monde entier ; car l’unité divine embrasse, comme sa conséquence, la dernière unité de l’humanité. Vois alors : la nation qui a été bafouée à cause de sa séparation d’avec les autres, a donné une théorie obligatoire à l’espèce humaine. Maintenant, dans la complète unité, une partie possède le tout comme le tout possède chaque partie, et, de cette manière, la vie humaine tend vers l’image de la suprême unité. En ce moment, ma sœur, je tiens en moi la joie d’un autre avenir, que mes yeux ne peuvent distinguer et que mon esprit ne reconnaît pas comme mien. Me comprends-tu, Mirah ?

— Un peu, répondit-elle d’une voix faible ; mais mon esprit est trop borné pour l’avoir senti.

— Et pourtant, reprit Mordecai, avec insistance, les femmes sont spécialement créées pour l’amour qui trouve la possession dans la renonciation, et c’est une image véritable de ce que je pense. Dans le dernier Midrasch[1], je crois, il y a l’histoire d’une vierge juive qui aimait tellement un roi gentil, qu’elle entra dans la prison où on avait jeté une femme aimée du roi, et changea de vêtements avec elle, afin de mourir à sa place et de laisser le roi être heureux par un amour qui n’était pas pour elle. Voilà l’amour suprême qui se perd lui-même dans l’objet de son amour.

— Non, Ezra, non ! s’écria Mirah avec ardeur, ce n’était pas cela. Elle voulait que, quand elle serait morte, le roi sût ce qu’elle avait fait et sentît qu’elle valait mieux que l’autre. C’est son égoïsme — qui voulait conquérir — qui la fit mourir.

Mordecai demeura pensif un instant et reprit :

  1. Interprétation d’un passage du Talmud. (Note du traducteur.)