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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/324

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décent. Avec une bonne chemise et une redingote convenable, les gens seraient heureux de m’avoir et je n’aurais pas l’air d’un saltimbanque ruiné. J’aimerais à être avec mes enfants ; je voudrais oublier, pardonner… Tu n’as jamais vu ton père dans un tel état, n’est-ce pas ? Si tu pouvais seulement disposer de dix livres — ou si j’avais un endroit à t’indiquer pour me les apporter — je pourrais être prêt pour après-demain.

Elle eut la tentation de céder à cette demande, mais elle y résista, en disant :

— Je ne voudrais pas vous refuser ce que vous me demandez, mon père ; mais j’ai donné ma parole de ne rien faire pour vous en secret. Je souffre certainement de vous voir si misérable ; mais il faut l’endurer encore un peu ; vous aurez alors des vêtements neufs que nous payerons pour vous.

Son sens pratique lui faisait voir combien madame Meyrick avait été sage en exigeant d’elle cette promesse.

La bonne humeur de Lapidoth disparut un peu, et il dit avec un sourire sardonique :

— Tu es devenue une jeune lady assez dure ; on t’a enseigné les vertus utiles ; on t’a appris à tenir ta promesse de ne pas secourir ton père, même d’une livre ou deux, quand tu gagnes assez d’argent pour te couvrir de soie… ton père dont tu étais l’idole et qui a passé la meilleure partie de sa vie à travailler pour toi !..

— Cela peut paraître cruel, je le sais, dit Mirah qui trouva ce moment plus affreux encore que celui où elle voulait se noyer. Ses lèvres pâlirent. — Mais, mon père, il est plus cruel encore de violer les promesses auxquelles on s’est fié. C’est ce qui a brisé le cœur de ma mère… c’est ce qui a détruit la vie d’Ezra. Vous et moi devons souffrir aujourd’hui de l’amertume de ce qui a été… Supportez-le… et résignez-vous…