Aller au contenu

Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Demain alors, reprit Lapidoth en tournant les talons ; mais il revint aussitôt et dit d’un ton suppliant :

— Tout ceci m’a un peu bouleverse, Mirah. Il faut que je rappelle mon courage pour demain. Si tu as un peu d’argent dans ta poche, je ne pense pas que ce serait faire quelque chose de contraire à ta promesse si tu me donnais une bagatelle… de quoi acheter un cigare.

Mirah ne put que prendre son porte-monnaie dans sa poche et le lui tendre d’une main tremblante. Lapidoth s’en saisit et lui dit :

— Au revoir, ma petite fille. À demain alors ; puis il la quitta. À peine se fut-il éloigné de quelques pas, qu’il fit l’inspection minutieuse de sa bourse, dans laquelle il trouva deux demi-couronnes et de la menue monnaie. Dans l’intérieur était collé un bout de papier sur lequel Ezra avait écrit en beaux caractères hébraïques le nom de sa mère, le jour de sa naissance, de son mariage et de sa mort, avec cette prière : « Puisse être Mirah délivrée du mal ! » Mirah avait tenu à avoir cette petite inscription sur tous les articles dont elle se servait habituellement.

Le père la lut et revit, comme dans un rêve, le jour de son mariage, alors qu’il était un beau jeune homme honnête, ayant de l’instruction, espérant gagner beaucoup d’argent et très amoureux de Sara, sa jolie jeune femme. Mais, depuis lors, Lapidoth avait tant voyagé, il avait passé par tant d’étamines, que cette inscription ne lui produisit aucune émotion, et le laissa froid. La bourse était jolie ; on en avait fait cadeau à la jeune chanteuse, et elle n’avait pas pensé à cette particularité en la donnant à son père. Celui-ci calcula ce qu’elle pouvait valoir et se demanda par quel moyen il soutirerait encore de l’argent à sa fille, avant de se soumettre à une vie de pénitence sous les yeux de son redoutable fils.

Cependant Mirah était rentrée et faisait tous ses efforts