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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/335

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s’épaissit autour de nous était le commencement de la fête où nous devons offrir les prémices de notre joie, et n’y mêlons pas la tristesse.

Deronda devina ce qu’était ce chagrin et garda le silence. Il se leva en voyant Mirah en faire autant, et lui dit :

— Partez-vous ? Je vais vous quitter aussitôt que madame Adam m’aura aidé à monter le précieux coffre dont je remettrai la clef à Mordecai ; non, à Ezra ! Puis-je le nommer Ezra, maintenant ? J’ai appris à penser à lui sous ce nom depuis que je vous ai entendue l’appeler ainsi.

— Oh oui ! je vous en prie, appelez-le Ezra ! dit d’une voix faible Mirah, qui éprouvait une timidité nouvelle sous le regard de Deronda. — Y avait-il en lui une différence réelle, ou cette différence n’existait-elle que dans ce qu’elle ressentait ? Les émotions étranges et diverses de ces quelques heures l’avaient brisée ; elle était sans forces, n’ayant pris aucune nourriture depuis le matin. Daniel, qui avait remarqué sa pâleur, brûlait de lui faire connaître ses sentiments, mais il n’osa pas. Elle lui tendit la main en faisant un effort pour sourire quand il lui ouvrit la porte. Ce fut tout.

Deronda savait que Mirah croyait lui devoir de grandes obligations, et, avec sa vive sensibilité, il était indubitable qu’elle donnerait à tout désir exprimé par lui l’aspect d’un droit. Mais, si elle ne se sentait pas capable d’y céder, ce serait pour elle une peine sans cesse renaissante dans leur inévitable communion de soins pour Ezra. Il éprouvait donc des craintes, inspirées non seulement par la fierté, mais encore par une tendresse extrême. De plus, son caractère de bienfaiteur semblait à Daniel un obstacle insurmontable à l’aveu de son amour, à moins que, par un hasard quelconque, il ne lui fût révélé que le cœur de Mirah l’avait déjà accepté. Donc, l’agitation, de son côté aussi, était grande.

Quant à Mirah, sa chère petite tête reposa cette nuit sur