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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/355

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enfin perdu les trente shillings de Mirah, il sortit, le porte-monnaie vide, indécis s’il le vendrait ou s’il irait le rendre à sa fille, en lui déclarant qu’il s’était servi du contenu pour payer une dette qu’on lui avait réclamée. Lapidoth se disait, d’ailleurs, qu’il avait un droit sur ce que possédaient ses enfants, et que ce droit était plus fort que le juste ressentiment d’Ezra. Après tout, demeurer avec ses enfants était ce qu’il pouvait faire de plus raisonnable, et plus il pensa à revoir son fils, moins il recula, son imagination lui offrant la chance d’avoir de l’argent en poche sans se donner de mal. Le résultat de sa réflexion le conduisit, deux jours après avoir revu Mirah, vers le petit square de Brompton, avec l’espoir de la voir entrer ou sortir. Mais déjà le soir tombait ; après avoir un peu attendu et se sentant fatigué il se dit qu’il pouvait sonner, et, si sa fille n’était pas à la maison, il demanderait l’heure à laquelle elle rentrerait. En approchant, il l’entendit qui chantait ; elle n’était donc pas sortie. Mirah était au piano et disait la mélodie qui commence par Herz, mein Herz, qu’Ezra écoutait les yeux fermés, lorsque madame Adam ouvrit la porte et dit avec un peu d’embarras :

— Il y a en bas un monsieur qui se dit votre père, miss.

— Je descends, répondit Mirah en se levant et en regardant son frère.

— Non, Mirah, non ! dit Ezra avec autorité. — Faites-le monter, madame Adam.

Mirah debout se tordait les mains, frissonnait d’anxiété, tout en continuant de regarder Ezra, qui s’était levé aussi et qui, évidemment, était très ému. Son visage reflétait une expression qu’elle n’y avait jamais vue ; son front se plissait ; on lisait sur ses lèvres la même sévérité qui jaillissait de ses yeux.

Quand madame Adam revint pour introduire l’étranger,