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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/357

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— Mirah, ma sœur, laisse-nous ! dit Ezra d’un ton décisif.

Elle le regarda hésitante, suppliante, craignant l’arrêt qu’il allait prononcer, mais incapable de sortir sans intercéder pour ce père qui était pour elle comme une douloureuse excroissance sur sa chair, mais qu’elle n’aurait pu en arracher sans une peine affreuse. Elle s’approcha de son frère, lui prit la main et lui dit à voix basse :

— Souviens-toi, Ezra ! Tu as dit que notre mère ne l’aurait jamais chassé !

— Sois sans crainte et retire-toi, dit-il.

Elle quitta la chambre ; mais après avoir monté quelques marches, elle s’assit sur l’escalier, le cœur palpitant. Si son frère allait être trop sévère !… Si son père partait !…

Lapidoth eut une vague perception de ce qui se préparait pour lui dans l’esprit de son fils ; mais il commençait à se prêter à la situation et il comptait répondre par une froideur de supériorité à toute tentative de l’humilier. Ce fils, à l’œil hagard et dont la voix semblait sortir du sépulcre, l’impressionnait cependant plus qu’il ne l’aurait voulu.

— Cette maison où nous sommes, dit Ezra, est entretenue en partie par la générosité d’un ami bien cher qui prend soin de moi, et en partie par le travail de ma sœur, qui se suffit à elle-même. Tant que nous aurons un toit, nous ne vous en exclurons pas. Nous ne voulons pas vous livrer en pâture à vos vices, car vous êtes notre père, et, quoique vous ayez oublié vos devoirs, nous connaissons les nôtres. Mais jamais je n’aurai confiance en vous. Vous êtes parti en emportant jusqu’au dernier sou, laissant vos dettes impayées ; vous avez abandonné ma mère ; vous lui avez volé sa fille et vous lui avez brisé le cœur. Vous êtes devenu joueur, et, au lieu de conscience, vous n’avez plus qu’un insatiable désir. Vous étiez prêt à vendre ma sœur, vous l’aviez vendue ; mais votre attente a été déçue et vous n’a-