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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/374

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pas osé lui parler. Elle le regarda, sans qu’un mot pût sortir de sa bouche ; elle semblait accepter tacitement ce déshonneur devant lui. Mais, prenant ses petites mains dans les siennes, Daniel lui dit d’un ton d’adoration respectueuse :

— Mirah, laissez-moi croire qu’il est mon père comme le vôtre… laissez-moi croire que nos douleurs, nos malheurs ou nos joies ne peuvent être séparés… Je préfère souffrir avec vous, partager votre chagrin que de partager la joie la plus enivrante avec une autre femme. Dites que vous ne me repoussez pas !… dites que vous me permettez de tout partager avec vous !… dites que vous me promettez d’être ma femme !… dites-le maintenant. J’ai douté si longtemps, et j’ai dû pendant si longtemps vous cacher mon amour ! Dites que je puis et que je pourrai toujours vous prouver que je vous aime de l’amour le plus tendre !

Mirah ne passa pas d’un seul coup de l’angoisse à la conviction que dans ce moment de désespoir et de honte, Deronda se soumettait au tribut le plus cher qu’un homme puisse payer à une femme. Aux premiers mots, elle n’avait senti qu’une consolation bien douce qu’elle rapportait à la bonté de Deronda. Mais, graduellement, l’assurance délirante d’un bonheur inespéré prit possession de tout son être. Son visage rayonna sous celui de Deronda penché vers elle ; elle le contemplait avec une ardente gravité, et, quand elle eut reconnu avec une religieuse gratitude qu’il la jugeait digne du plus grand bonheur ; quand il cessa de parler, elle ne put rien dire : elle ne put que se hausser, poser ses lèvres sur les siennes et les baiser, comme si c’était le plus simple oui. Ils demeurèrent ainsi, se regardant avec des yeux ravis, les mains entrelacées, trop heureux pour faire un mouvement, car ç’aurait été se quitter un instant. Enfin, elle murmura comme dans un soupir :

— Allons consoler Ezra !