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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/385

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— Non, je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

Elle détourna les yeux et demeura pensive. Peu à peu la rougeur de son visage disparut et fit place à une pâleur livide. Enfin, sans lever les yeux, d’une voix basse et mesurée, elle lui dit :

— Mais pouvez-vous l’épouser ?…

— Oui, répondit-il gravement, je vais l’épouser.

Gwendolen trembla de tout son corps, ses yeux se dilatèrent comme si elle apercevait devant elle un objet effrayant : elle étendit les bras, et s’écria d’un accent désolé et larmoyant :

— J’avais dit que je serais abandonnée ! J’ai été une femme cruelle, et je suis abandonnée !…

L’angoisse de Deronda devint intolérable. Il lui prit les mains, les serra dans les siennes et tomba à genoux. Elle était victime de son bonheur, et il semblait lui en demander pardon.

— Je suis cruel aussi, je suis cruel, répéta-t-il avec une sorte de gémissement et en l’implorant du regard.

Cette attitude et cet attouchement semblèrent dissiper son affreuse vision et le regard douloureux de Daniel la fit revenir à elle. Déjà elle en avait vu de semblables sur son visage, et notamment lorsqu’ils étaient ensemble dans la bibliothèque de l’abbaye. Ses sanglots éclatèrent et ses larmes coulèrent épaisses. Daniel ne voulait pas lâcher ses mains ; il les tenait toutes deux dans une des siennes, et de l’autre il lui passait son mouchoir sur les yeux. Elle le laissait faire, comme une enfant docile, et s’efforçait de parler malgré les sanglots qui entrecoupaient sa voix :

— Je l’ai dit… je l’ai dit… que je serais meilleure… à cause de vous… pour vous avoir connu…

Les larmes de Daniel coulaient aussi. Elle retira une de ses mains qui tenait la sienne et, à son tour, elle essuya les pleurs qui tombaient des yeux de Deronda.