Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/41

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Je ne veux pas prétendre que je crois pouvoir le faire aussi bien, mais je me dis que cela vaut la peine d’essayer. Je suis persuadé que la musique que je fais n’est pas très bonne ; mais le monde me paraîtrait bien plus triste si je croyais que la musique en elle-même ne vaut pas beaucoup. L’excellence encourage ; elle prouve la richesse spirituelle du monde.

— Mais si nous ne pouvons imiter, il me semble que notre vie en sera plus paisible, objecta Gwendolen, qui se sentait encouragée par l’insignifiance de son talent.

— Cela dépend du point de vue où l’on se place, répliqua Deronda. Nous aurions une pauvre vie si nous en étions réduits, pour tout plaisir, à nos seuls talents. Une petite imitation privée de ce qui est bon est une sorte de dévotion, et nous devrions pratiquer l’art, ne fût-ce que comme préparation pour comprendre ce qu’un petit nombre seulement peut faire. Je crois miss Lapidoth de ce petit nombre.

— Ce doit être une personne bien heureuse, ne le pensez-vous pas ? dit Gwendolen avec une teinte de sarcasme et en tournant la tête du côté de madame Raymond.

— Je ne sais, répondit cette dame au caractère indépendant ; il faut que je la connaisse mieux avant d’en dire autant.

— Elle doit avoir éprouvé un cruel désappointement de ce que la voix lui ait manqué pour le théâtre, dit Juliette Fenn avec sympathie.

— Je suppose qu’elle a déjà passé le meilleur temps de sa jeunesse, fit la voix grave de lady Pentreath.

— Au contraire, elle l’atteint à peine, dit Deronda. Elle compte au plus vingt ans.

— Et très jolie ! ajouta lady Mallinger, excitée par le désir de venir en aide à Deronda ; et, de plus, elle a de très bonnes manières. Je regrette seulement qu’elle soit juive. Je n’aimerais pas à l’employer à autre chose ; mais, pour chanter, cela ne fait rien.