Aller au contenu

Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’explique le reproche que vous vous faites à vous-même.

Quoique préparé à tout, il était presque alarmé de sa précipitation de confiance envers lui, qui contrastait si radicalement avec sa résolution de retenue habituelle.

— Que feriez-vous si vous étiez à ma place ? — Si vous sentiez que vous avez été mauvais et misérable ? — Si vous redoutiez l’avenir ?

On aurait dit qu’elle s’empressait de profiter de cette occasion pour parler comme elle l’entendait.

— Vous ne pourriez pas réparer ce mal en ne faisant qu’une chose, dit Deronda avec décision, mais en en faisant beaucoup.

— Quoi ? répondit-elle anxieusement et en relevant la tête.

Elle lui trouva le regard sévère. Il pensait aussi que ce n’était pas le moment de se laisser aller à l’attendrissement et de reculer devant l’expression d’une opinion, quelque dure qu’elle fût.

— Je veux dire qu’il y a beaucoup de pensées et d’habitudes qui peuvent nous aider à supporter une douleur inévitable.

Elle appuya de nouveau son front contre la vitre et reprit avec une certaine impatience :

— Alors il faudra me dire ce que je dois penser et faire ; autrement, pourquoi ne m’avez-vous pas laissé faire ce qui me plaisait, sans réfléchir ? Si j’avais continué de jouer, j’aurais pu regagner, et je n’aurais pas eu à m’inquiéter d’autre chose. Vous ne l’avez pas voulu. Pourquoi ne ferais-je pas ce qui me plaît, sans réfléchir ? D’autres le font bien !

Les paroles de la pauvre Gwendolen n’exprimaient clairement que son irritation.

— Je ne crois pas que vous puissiez demeurer sans réfléchir, repartit Deronda. S’il était vrai que la bassesse et la cruauté pussent échapper à la peine, quelle compensation y aurait-il pour les gens qui ne sont ni bas ni cruels ? Les