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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/72

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Ces derniers mots furent prononcés avec une ardeur sérieuse, comme s’ils avaient fait partie d’une prière. Ses yeux étaient rivés sur ceux de Deronda qui, le coude appuyé sur le dos de sa chaise, la contemplait sous le jour nouveau de l’impression qu’elle avait faite sur Hans, et en pensant à la possibilité d’attraction de ces contrastes si complets. Après avoir exhalé sa pénible surprise, elle continua :

M. Hans nous disait hier que vous pensiez tant aux autres, que c’est à peine si vous aviez besoin de quelque chose pour vous. Il nous a raconté la merveilleuse histoire de Bouddha se donnant en pâture à une tigresse affamée, pour l’empêcher de mourir de faim, elle et ses petits. Il a dit que vous feriez comme Bouddha. C’est ce que nous pensons toutes de vous.

— Oh ! je vous en prie, ne vous imaginez pas cela, s’écria Deronda, qu’une telle supposition exaspérait. Si même il était vrai que je m’occupasse tant que cela des autres, il ne s’ensuivrait pas que je n’eusse pas de besoins moi-même. Quand Bouddha s’est laissé manger par la tigresse, il pouvait aussi avoir très faim.

— Peut-être que s’il n’avait pas été mourant de faim, il n’aurait pas fait une aussi belle chose que de se laisser manger, dit Mab timidement.

— Oh ! Mab ! ne pensez pas ainsi ! dit Mirah. C’est enlever toute sa beauté à l’action.

— Mais si c’était vrai, Mirah ! demanda la raisonnable Amy. Vous prenez toujours pour vrai ce qui est beau.

— C’est qu’il en est ainsi, répondit Mirah avec douceur. Si quelqu’un a pensé ce qu’il y a de plus beau et de meilleur, cela doit être vrai.

— Qu’entendez-vous par là, Mirah ? reprit Amy.

— Je la comprends, fit Deronda pour venir à son aide. C’est une vérité en pensée, quoiqu’elle n’ait jamais été mise en action. Elle vit comme idée. Est-ce, cela ? demanda-t-il