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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/85

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Après le récitatif venait une mélodie plaintive d’un rythme douloureux, suivie d’un chant de triomphe terminé par un allégro plein d’exaltation. Quand elle eut fini, Klesmer lui dit froidement :

— C’est de la musique du vieux Leo.

— Oui, il a été mon dernier professeur à Vienne ; si méchant et si bon ! dit Mirah avec un sourire mélancolique. Il avait prédit que ma voix ne serait jamais faite pour le théâtre, et il avait raison.

— Continuez, je vous prie, reprit Klesmer en avançant les lèvres et en croisant ses longs doigts. — Les trois sœurs le détestèrent unanimement de ce qu’il n’avait fait aucun éloge. Madame Meyrick en fut un peu alarmée. Mirah obéit simplement ; mais, pensant qu’il préférait le genre allemand, elle passa de la musique du prince Radziwill au chant de Gretchen dans Faust, sans s’arrêter pour l’interroger. Quand elle eut fini, il se leva, marcha jusqu’au bout de la petite chambre, et revint auprès du piano, d’où Mirah s’était levée aussi, et le regardait, ses petites mains croisées devant elle, attendant avec résignation son jugement. Alors d’un air souriant, les yeux étincelants, il lui tendit brusquement la main et lui dit :

— Serrons-nous les mains ; vous êtes artiste.

Mab crut qu’elle allait pleurer et les trois sœurs tinrent Klesmer pour adorable. Madame Meyrick poussa un long soupir. Mais le froncement de sourcil reparut aussitôt, et il reprit d’un ton un peu sec :

— Nous ne sommes pas faite pour jouer les grands rôles ; nous ne pouvons atteindre le ciel, comme les alouettes. Il faut que nous soyons modeste.

Mab cessa de le trouver adorable ; Mirah gardait le silence sachant bien qu’une opinion spécifique viendrait ; Klesmer continua :

— Je ne vous conseillerais pas de chanter ailleurs que