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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/90

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nua-t-elle, dans un rôle où je devrais paraître en pauvre juive qui va chanter chez des chrétiens du grand monde.

— Oui, cela ferait de l’effet, dit Hans ; ce serait drôle au milieu des chiffons à la mode.

— Mais il ne faut pas mettre toute la pauvreté de votre côté, Mirah ! dit Amy. Il y a beaucoup de chrétiens pauvres, des juifs énormément riches, et des juives à la mode.

— Je ne voulais rien dire de mal, objecta Mirah ; seulement j’ai été habituée à penser à ma toilette pour mes rôles dans les pièces de théâtre. Presque toujours j’avais un costume simple.

— La chose me paraît contestable, dit Hans, qui devint tout à coup aussi méticuleux et aussi difficile que Deronda à propos de ses tableaux de Bérénice. — Cela paraîtrait un peu trop théâtral. Il ne faut pas que nous vous fassions jouer le rôle d’une pauvre juive ; il ne faut même pas que vous soyez juive du tout.

Hans éprouvait un secret désir de neutraliser la juive dans la vie privée, et il courait le danger de révéler son secret.

— Mais je le suis réellement, répliqua Mirah, je ne prétends pas être autre chose ; je ne serai jamais autre chose. Je me sens toujours juive.

— Mais nous ne pouvons pas le sentir sur vous, dit Hans d’un ton soumis. Qu’est-ce que cela signifie qu’une femme parfaite soit ou ne soit pas juive ?

— C’est votre manière aimable de faire mon éloge : je n’ai jamais été louée ainsi jusqu’à présent, dit-elle avec un sourire qui faillit le rendre fou et qui le fit se sentir de plus en plus cosmopolite.

— Les gens ne pensent pas à moi, reprit-il d’un air plus gai, comme à un peintre chrétien. Ils me jugent comme un jeune homme imparfaitement beau et peintre sans espérances.

— Mais nous nous écartons de la toilette, dit Amy. Si