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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/96

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plus confiante. Cette impression lui venait de la quiétude que la conviction de l’accomplissement répandait sur les manières de Mordecai.

— Allons maintenant ! dit celui-ci. Et, tout en cheminant, il ajouta :

— Nous descendrons par le bout de la rue et nous irons jusqu’à la boutique. Vous pourrez, en attendant, examiner les livres, car M. Ram nous laissera bientôt seuls.

Cet enthousiaste était aussi prudent, aussi vif à juger de l’esprit des autres, que s’il eût été cet antipode de tout enthousiasme qu’on appelle « un homme du monde ». L’idée de Mirah s’était présentée à Deronda pendant cette étrange expérience, mais il pressentait que ce serait Mordecai et non lui qui dirigerait leur entretien ; il ne savait plus quelles questions lui poser et intérieurement il se disait : « Il me semble que je deviens superstitieux, comme si je m’attendais à un oracle qui doit interpréter ma destinée. Il faut qu’il y ait une puissante relation entre cet homme et moi, puisqu’il la sent si fortement. »

Dix minutes plus tard, ils étaient seuls dans la petite boutique éclairée par le gaz ; ils s’assirent en face l’un de l’autre, la tête découverte, sentant instinctivement le besoin de se voir en plein visage. Mordecai s’appuyait sur le comptoir et Deronda contre le mur, séparés par un intervalle de quatre pieds à peine.

— Vous ne pouvez pas savoir, commença Mordecai, ce qui m’a guidé vers vous et nous réunit en ce moment. Vous en êtes étonné ?

— Je ne suis pas impatient, répondit Deronda. Je suis prêt à écouter tout ce que vous voudrez me dévoiler.

— Vous voyez une des raisons pour lesquelles j’avais besoin de vous, reprit Mordecai avec calme, comme s’il voulait ménager ses forces. Je suis mourant ; le jour va finir… la lumière pâlit… bientôt nous ne serons plus