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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/131

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sains d’esprit et à appeler les choses comme les appelle le commun des mortels. Je reconnais bien que vous êtes un peu tracassée ici par notre bonne douairière ; mais songez combien vous pourriez devenir vous-même incommode à vos semblables en jouant constamment à la reine de tragédie et en cherchant toujours le sublime des choses. À rester seule assise dans cette bibliothèque de Lowick, vous en viendrez à croire que vous commandez au temps. Il faut avoir quelques personnes autour de vous, qui ne vous croiront pas si vous le leur dites. C’est là une bonne médecine calmante.

— Je n’ai jamais appelé les choses comme le commun des mortels autour de moi ? dit Dorothée vivement.

— Mais je suppose que vous avez reconnu votre erreur, ma chère ; et c’est la preuve d’un esprit sain.

Dorothée sentit le piquant de ces paroles, mais elle n’en fut pas blessée.

— Non, dit-elle, je crois encore aujourd’hui que la plus grande partie de l’humanité se trompe à beaucoup d’égards. On peut certainement être sain d’esprit et penser ainsi, puisque la masse de l’humanité a souvent dû revenir sur son opinion.

Mistress Cadwallader n’insista pas davantage, mais elle communiqua ses réflexions à son mari.

— Il sera très heureux pour elle de se remarier dès qu’elle le pourra sans blesser les convenances, si on peut l’amener dans le monde qui lui convient. Naturellement, les Chettam ne le désireront pas. Mais je vois, à n’en pouvoir douter, qu’un mari serait le meilleur moyen de la tenir dans l’ordre. Si nous n’étions pas si pauvres, j’inviterais lord Triton. Il sera marquis un jour et on ne peut nier qu’elle ferait une belle marquise ; elle a l’air plus élégante que jamais dans ses vêtements de deuil.

— Ma chère Éléonore, laissez cette pauvre femme en