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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/221

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— Avez-vous eu quelque tourment ? dit-elle. Cet homme est-il allé vous trouver à la banque ?

— Oui, c’était bien comme je l’avais supposé. C’est un homme qui aurait pu mieux tourner, à une certaine époque de sa vie. Mais il est tombé aujourd’hui dans l’ivrognerie et la débauche.

— Est-il parti pour de bon ? demanda mistress Bulstrode avec inquiétude ; mais elle s’abstint d’ajouter : il m’a été bien désagréable de l’entendre se dire de vos amis.

En ce moment elle ne voulait rien dire qui eût trahi son sentiment enraciné que les anciennes relations de son mari n’étaient pas tout à fait au niveau des siennes. Non qu’elle en sût grand’chose. Son mari avait commencé par être employé dans une banque ; il était entré ensuite dans ce qu’il appelait le commerce, les affaires de la Cité, il avait acquis, jeune encore, une fortune puis il avait épousé une veuve, une dissidente, beaucoup plus âgée que lui. C’était à peu près tout ce qu’elle s’était souciée de savoir, en dehors des lueurs que jetaient les récits de M. Bulstrode sur les tendances religieuses de sa jeunesse, sur son inclination à se faire prédicateur et la part qu’il avait prise aux efforts des missionnaires et des philanthropes. Elle avait foi en lui comme en un homme excellent, dont la piété laïque avait une supériorité particulière. C’était son influence qui l’avait dirigée elle-même vers les choses sérieuses ; c’était grâce à sa part de biens périssables que sa propre situation avait pu s’élever. Mais elle aimait aussi à penser qu’il était heureux sous tous les rapports pour M. Bulstrode d’avoir obtenu la main d’Henriette Vincy dont la famille était irréprochable, considérée à la lumière de Middlemarch, lumière meilleure, assurément, que toutes celles qui pouvaient éclairer les ruelles ou les cours des chapelles dissidentes de Londres ; et bien qu’une religion sincère fût partout et pour tous le salut, mistress Bulstrode était convaincue qu’il était plus respectable