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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/263

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où il se trouvait actuellement, et lui laisser en outre, selon la formule courante d’encouragement, le temps de se retourner.

Naturellement le joyeux Noël amenant l’heureux jour de l’an, alors que chacun, en compensation du tracas et de la dépense des cadeaux gracieusement distribués autour de soi, s’attend à être payé de ses notes, l’étreinte des soucis sordides s’était à tel point resserrée sur l’esprit de Lydgate, qu’il ne lui était guère possible de penser avec suite à tout autre sujet, même le plus familier et le plus attrayant. Ce n’était pas un homme de mauvais caractère ; son activité intellectuelle, l’ardente tendresse de son cœur, aussi bien que sa robuste constitution, l’eussent toujours maintenu, dans des conditions tolérables, au-dessus du laisser-aller des petites susceptibilités qui constituent un mauvais caractère. Mais il était, en ce moment, en proie à la pire des irritations, celle qui ne vient pas seulement du ressentiment de contrariétés de tout genre, mais encore, par derrière toutes ces contrariétés, de la conscience de son énergie gaspillée, et d’une préoccupation humiliante, qui était précisément l’opposé de tous ses desseins antérieurs. « C’est à ceci que je pense, et c’est à cela que j’aurais pu penser », murmurait au dedans de lui une incessante amertume, faisant de chaque difficulté un double aiguillon pour son impatience.

Certains personnages ont fait, dans la littérature, une figure remarquable, par leur mécontentement général de l’univers, piège d’ennui, où leurs grandes âmes avaient eu la maladresse de se laisser tomber ; mais le sentiment d’une personnalité prodigieuse, en face d’un monde insignifiant, peut avoir ses consolations. Le mécontentement de Lydgate était autrement dur à supporter : c’était le sentiment qu’il existait autour de lui un grand mouvement de pensée et d’action, tandis que sa personnalité se trouvait resserrée dans le misérable isolement de craintes égoïstes et vulgaires,