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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/422

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vision du charme que devaient offrir ces continuelles occasions d’intimité avec cette jolie créature, qui probablement partageait tous ses goûts comme elle partageait ses jouissances musicales. Mais il avait prononcé ses paroles d’adieu, ces paroles passionnées où il avait laissé entendre que l’objet de cet effort d’amour c’était elle-même, qu’à elle seule allait cet amour, qu’il était résolu à ne pas déclarer, mais à emporter avec lui dans l’exil. Depuis ce moment, Dorothée croyant à l’amour de Will pour elle-même, croyant avec un orgueilleux ravissement à son délicat sentiment de l’honneur, à sa résolution de ne jamais justifier les accusations de personne, s’était senti le cœur tout à fait tranquille. Quel que fût le sentiment qui pût l’attacher à mistress Lydgate, elle ne doutait plus qu’il fût irréprochable.

Il est des natures dont l’amour nous donne l’impression d’une sorte de baptême et de consécration. Elles nous commandent, par leur confiance en nous, de nous attacher uniquement à ce qui est droit et pur ; nos fautes deviennent pour elles cette pire espèce de sacrilège qui détruit l’autel invisible de la confiance.

Dorothée était une de ces natures : ses défauts, qui tenaient à son âme passionnée, se montraient au grand jour de son caractère ardent ; en même temps qu’elle était pleine de pitié pour les fautes visibles des autres, son expérience ne possédait encore pour le mal caché nuls matériaux à l’usage des combinaisons subtiles du soupçon. Mais cette ingénuité qui élevait en elle un idéal pour les autres, dans la conception confiante qu’elle s’en faisait, était une des grandes forces de sa nature de femme. Et cette force, dès le premier moment, avait agi avec toute sa puissance sur Will Ladislaw. Il sentait, en la quittant, que les quelques mots si courts, par lesquels il avait essayé de lui faire comprendre son amour et l’abîme que sa fortune créait entre eux, ne pourraient que gagner à avoir été si courts, à l’heure où Dorothée aimerait