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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/433

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cœur. Mais une sombre révolte s’élevait dans son âme contre le fait qu’une appréhension rapide lui représentait à l’avance ; et quand ses yeux tombèrent sur le visage atterré de Rosemonde, il lui sembla qu’il était encore le plus à plaindre des deux ; car il faut que la douleur soit entrée dans le sanctuaire glorieux du souvenir avant de pouvoir se changer en pitié.

Et c’est ainsi qu’ils restèrent un long moment, face à face, éloignés l’un de l’autre, en silence ; la figure de Will toujours en proie à une rage muette, celle de Rosemonde à une muette douleur. La pauvre enfant était sans force pour faire éclater un cri de passion ; c’était un coup trop terrible pour elle, que cet écroulement des illusions vers lesquelles avaient tendu toutes ses espérances ; son petit univers était en ruines, et abandonnée au milieu de ces ruines, elle se sentait chanceler comme une pauvre affolée.

Will souhaitait qu’elle parlât, qu’elle jetât quelque ombre adoucissante sur les cruelles paroles de tout à l’heure qui semblaient se dresser encore entre eux, pour défier toute tentative vers un retour possible d’amitié. Mais elle ne dit rien, et enfin avec un effort désespéré sur lui-même il demanda :

— Viendrai-je ce soir voir Lydgate ?

— Si vous voulez, répondit Rosemonde d’une voix qui s’entendit à peine.

Et Will sortit de la maison sans que Marthe ait jamais su qu’il y était entré.

Après son départ, Rosemonde essaya de se lever de sa chaise, mais elle y retomba évanouie. Lorsqu’elle revint à elle, elle se sentit trop faible pour faire l’effort de se lever et de tirer la sonnette, et elle resta là, sans secours, jusqu’au moment où la servante, étonnée de sa longue absence, eut l’idée pour la première fois de la chercher dans les chambres du rez-de-chaussée. Rosemonde lui dit qu’elle