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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/84

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devoir être inutile et sans autre but que cette consécration de la fidélité, qui est elle-même un but suprême. Mais son jugement, affranchi maintenant de la soumission et du dévouement, faisait l’amère découverte que, dans son union passée, le soupçon et la dissimulation n’avaient pas cessé de se tenir aux aguets. L’homme vivant et souffrant n’était plus devant elle pour éveiller sa pitié. Il ne restait que le pénible souvenir d’une soumission douloureuse à un mari dont les pensées basses venaient de lui être révélées, à un mari qui, dans ses soins scrupuleux à maintenir son caractère aux yeux du monde, aveuglé par ses prétentions exorbitantes, avait fini par porter lui-même un coup fatal à son orgueil, en froissant les sentiments de l’honneur le plus vulgaire. Quant à la propriété, elle eût été heureuse de s’en débarrasser et de rester avec sa fortune personnelle, n’eussent été les devoirs attachés à sa qualité de propriétaire, devoirs qu’elle ne pouvait négliger. Plus d’une question perplexe agitait son esprit au sujet de cette propriété. N’avait-elle pas eu raison de penser que la moitié en revenait à Ladislaw ? Aussi bien, il lui était impossible maintenant d’accomplir cet acte de justice. M. Casaubon avait choisi pour l’en empêcher un moyen cruellement efficace. Malgré l’indignation qu’elle se sentait au cœur contre lui, tout acte qui eût ressemblé à un défi triomphant aux désirs de son mari la révoltait.

Ayant rassemblé des papiers d’affaires avec l’intention de les examiner, elle referma à clef les pupitres et les tiroirs, tous vides de toute parole exprimant pour elle un sentiment personnel, vides de tout signe que, dans sa méditation solitaire, le cœur de son mari se fût jamais élancé vers le sien pour s’excuser ou s’expliquer ; et elle revint à Freshitt avec le sentiment que sur sa dernière et cruelle demande, comme sur le dernier et injurieux témoignage de son pouvoir, régnait un silence absolu.