Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
LES ROUGON-MACQUART

une voix de ténor, vraiment ! mais c’était une chance, les voix de ténor se faisaient si rares ! Ainsi, pour la Bénédiction des Poignards, qu’on allait chanter à l’instant, elle n’avait jamais pu trouver plus de trois ténors dans sa société, lorsqu’il lui en aurait fallu au moins cinq. Et, excitée tout d’un coup, les yeux luisants, elle se retenait pour ne pas l’essayer immédiatement au piano. Il dut promettre de venir un soir. Trublot, derrière lui, le poussait du coude, goûtant des joies féroces dans son impassibilité.

— Hein ? vous en êtes ! murmura-t-il, quand elle se fut éloignée. Moi, mon cher, elle m’a d’abord trouvé une voix de baryton ; puis, voyant que ça ne marchait pas, elle m’a essayé comme ténor ; ça n’a pas mieux marché, et elle s’est décidée à m’employer ce soir comme basse… Je fais un moine.

Mais il dut quitter Octave, madame Duveyrier précisément l’appelait, on allait chanter le chœur, le grand morceau de la soirée. Ce fut un remue-ménage. Une quinzaine d’hommes, tous amateurs, tous recrutés parmi les invités de la maison, s’ouvraient péniblement un passage au milieu des dames, pour se réunir devant le piano. Ils s’arrêtaient, s’excusaient, la voix étouffée par le bruit bourdonnant des conversations ; tandis que les éventails battaient plus rapidement, dans la chaleur croissante. Enfin, madame Duveyrier les compta ; ils y étaient tous ; et elle leur distribua les parties, qu’elle avait copiées elle-même. Campardon faisait Saint-Bris, un jeune auditeur au conseil d’État était chargé des quelques mesures de Nevers ; puis, venaient huit seigneurs, quatre échevins, trois moines, confiés à des avocats, des employés et de simples propriétaires. Elle, qui accompagnait, s’était en outre réservé la partie de Valentine, des cris de passion qu’elle poussait en plaquant des accords ; car elle ne