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POT-BOUILLE

marchaient très doucement, il lui fallait près de deux heures pour aller et revenir.

On échangea d’amicales poignées de main sur le palier. En rentrant avec Marie, Octave dit tranquillement :

— Il pleut, Jules ne rentrera pas avant minuit.

Et, comme on avait couché Lilitte de bonne heure, il prit tout de suite Marie sur ses genoux, il but avec elle un reste de café dans la même tasse, en mari heureux du départ de ses invités, se retrouvant enfin chez lui, excité par une petite fête de famille, et pouvant embrasser sa femme à l’aise, les portes closes. Une chaleur endormait l’étroite pièce, où des œufs à la neige avaient laissé une odeur de vanille. Il mettait de légers baisers sous le menton de la jeune femme, lorsqu’on frappa. Marie n’eut pas même un sursaut de peur. C’était le fils Josserand, celui qui avait une fêlure. Quand il pouvait s’échapper de l’appartement d’en face, il venait ainsi causer avec elle, attiré par sa douceur ; et tous deux s’entendaient très bien, restant des dix minutes sans parler, échangeant de loin en loin des phrases qui ne se suivaient pas.

Octave, très contrarié, garda le silence.

— Ils ont du monde, bégayait Saturnin. Moi, je m’en fiche, qu’ils ne me mettent pas à table !… Alors, j’ai défait la serrure et je me suis sauvé. Ça les attrape.

— On sera inquiet, vous devriez rentrer, dit Marie, qui voyait l’impatience d’Octave.

Mais le fou riait, enchanté. Puis, avec sa parole embarrassée, il dit ce qu’on faisait chez lui. Il semblait venir chaque fois pour soulager surtout sa mémoire.

— Papa a encore travaillé toute la nuit… Maman a giflé Berthe… Dites, quand on se marie, ça fait du mal ?