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LES ROUGON-MACQUART

Il pleura misère. Ainsi, il avait acheté des crins, tout un solde, s’imaginant que les crins hausseraient ; pas du tout, les crins baissaient, il était obligé de les expédier à perte. Et il se précipita, ouvrit des registres, voulut absolument montrer des factures. C’était la ruine.

— Allons donc ! finit par dire M. Josserand impatienté. Je connais vos affaires, vous gagnez gros comme vous, et vous rouleriez sur l’or, si vous ne le jetiez pas par les fenêtres… Moi, je ne vous demande rien. C’est Éléonore qui a voulu faire cette démarche. Mais, permettez-moi de vous dire, Bachelard, que vous vous êtes fichu de nous. Depuis quinze ans, chaque samedi, lorsque je viens jeter un coup d’œil sur vos livres, vous êtes toujours à me promettre…

L’oncle l’interrompait, se frappait violemment la poitrine.

— Moi, promettre ! pas possible !… Non, non, laissez-moi faire, vous verrez. Je n’aime pas qu’on demande, ça me vexe, ça me rend malade… Vous verrez, un jour.

Madame Josserand elle-même n’en put tirer rien de plus. Il leur serrait les mains, essuyait une larme, parlait de son âme, de son amour de la famille, en les suppliant de ne pas le tourmenter davantage, en jurant devant Dieu qu’ils ne s’en repentiraient pas. Il savait son devoir, il le ferait jusqu’au bout. Berthe, plus tard, connaîtrait le cœur de son oncle.

— Et l’assurance totale, dit-il de sa voix naturelle, les cinquante mille francs que vous aviez mis sur la tête de la petite ?

Madame Josserand haussa les épaules.

— Depuis quatorze ans, c’est enterré. On t’a répété vingt fois que, dès la quatrième prime, nous n’avons pu donner les deux mille francs.